LA lettre sur les dépassements d’honoraires

Lettre: critique marisol touraine
La fièvre monte... Un cas de santé très particulier. Les symptômes? Buzz médiatique, grèves de certains professionnels de santé, mécontentement... Le malade? L'accord sur les dépassements d'honoraires. Avant même d'être mis en œuvre en 2013, le "contrat d'accès aux soins", né aux forceps, rencontre un vent d'oppositions, soufflé même par une amie proche de la Ministre Marisol Touraine. Voici la lettre adressée à la Ministre, et la réponse de cette dernière.Au travers de la polémique, une grande question: les mutuelles, elles, sont dans quel camp? Quelle est la part des assurances complémentaires dans cette "grande réforme historique"?

L'échange épistolaire entrera-t-il dans le patrimoine littéraire de la France à côté des Lettres de Mme de Sévigné? Il est bien trop tôt pour le dire. Toujours est-il que cet échange "Tout Feu Tout Femmes" entre deux amies qui estiment savoir de quoi elles parlent, chacune de leur point de vue, fait monter la température sur la toile.

Les mutuelles absentes du débat

On peut s'étonner: alors que l'Accord sur les dépassements d'honoraires avait été annoncé lors du meeting annuel de la mutualité en octobre dernier, par le président François Hollande, les compagnies d'assurance complémentaire et de mutuelle restent assez silencieuses dans ce débat. Un débat qui oppose la Ministre de la Santé et les signataires de l'Accord sur les dépassements d'honoraires, face au terrain: internes, médecins spécialistes et généralistes...

La Mutualité Française qui a applaudi l'Accord, ne défend ni l'une, ni les autres. Elle promet -comme toujours- que toute hausse de dépenses (donc de remboursements) entraîne immanquablement une hausse systématique du tarif des mutuelles, déjà trop chères pour une majorité de français.

Les mutuelles sont pourtant les premières concernées, car ce sont elles qui remboursent les dépassements d'honoraires. Du moins pour les français qui ont les moyens de souscrire une complémentaire santé qui le permet. Car pour les autres...
Et c'est là tout le fond du débat: ces autres-là que Marisol Touraine veut défendre, avec le Contrat d'Accès aux Soins notamment.

Mutuelles: "la part des Anges"

En cuisine, et particulièrement en œnologie, la "part des Anges", c'est cette quantité de matière qui disparaît avec la transformation: la cuisson des aliments, le vieillissement d'un vin... Ou comment vous obtenez seulement quelques dizaines de précieux flacons de vinaigre balsamique à partir de plusieurs centaines de litres de vins, et 100 ans de vieillissement en fûts d'essences de bois diverses.

En complémentaire santé, la "part des Anges" de la mutuelle, c'est cette partie de dépenses de soins toujours plus lourde que les français doivent assumer, malgré des cotisations toujours en hausse. C'est aussi cette part des 35 milliards d'euros de recette annuelle, perçue par l'ensemble des mutuelles complémentaires, qui ne retrouve jamais les poches des français. 35 milliards payés par leurs cotisations de mutuelles. Dont seulement 2,4 milliards sont employés aux remboursement d'honoraires...

En assurance maladie, la "part des Anges", ce sont ces 479,5 millions d'euros détournés par les fraudes à l'Assurance maladie. C'est aussi ce "trou de la Sécu" que les français comprennent mal, avec un déficit que l'État espère réduire à "seulement" 11,4 milliards pour l'assurance maladie obligatoire, en 2013.

Dans sa lettre à la Ministre, la chirurgienne pousse encore plus la comparaison entre cuisine et santé...

Les Desperate Health Wives

D'un côté l'amie chirurgienne de la Main: une spécialiste donc, directement concernée par la réalité de terrain. À la fois en tant que libérale, que médecin spécialiste d'une discipline médicale particulièrement ardue. Ex-interne et ancienne chef de clinique, le Docteur Arielle Salon connaît très bien son sujet, avec un vécu de terrain mutuel à tous les médecins, spécialistes ou non.

De l'autre une Ministre de la Santé: une femme politicienne préoccupée de l'accès aux soins pour tous les français. Auxquels elle voudrait bien garantir que les grands chirurgiens de la Main puissent réparer leurs tendons ou leurs articulations broyées, même s'ils n'ont pas de moyens financiers. Car sans deux mains valides, la vie quotidienne et le travail sont rendus très compliqués. Une facilité d'accès que la Ministre voudrait mutuelle à toutes les spécialités médicales...

Les grandes lignes de l'échange de courrier virtuel

Au "tu te trompes de cause" de Arielle, la chirurgienne spécialiste, quelle est la réponse de Marisol à son amie? Vous pourrez consulter la lettre complète sur le blog personnel de Marisol Touraine. Le comparateur de Mutuelle vous en propose une synthèse.

Le point de vue de la chirurgienne

Conséquences possibles de l'Accord sur les dépassements d'honoraires:

  • disparition de l'excellence de la France en Médecine et en Chirurgie,
  • mise au rabais de la qualité de la médecine et de la santé en France,
  • suppressions d'emplois (revenus insuffisants pour financer secrétaire médicale ou assistante dentaire par exemple),
  • déconventionnement en masse des professionnels de santé (rappel du comparateur de mutuelle: la signature d'une convention est LA condition au remboursement des soins par l'assurance maladie et la mutuelle).

Du côté des français, de leur assurance maladie, et des mutuelles:

  • les français paient deux fois:
    • 1 fois par le biais des cotisations de sécurité sociale, alors que celle-ci rembourse partiellement et ne paie pas les professionnels de santé à hauteur de leur travail (tarifs opposables sous-évalués),
    • 1 fois par le biais des mutuelles, qui encaissent 35 milliards d'euros par an en cotisations de leurs assurés,
  • les mutuelles ont un budget communication et fonctionnement supérieur au montant des remboursements qu'elles devraient prendre en charge,
  • s'attaquer aux gaspillages dans la gestion des comptes de la Sécurité Sociale (**) seraient une vraie réforme, et une vraie solution.

Réévaluation de la pratique de la médecine:

  • barème des tarifs opposables insuffisant (170 euros pour opérer une appendicite),
  • risque pénal élevé avec pour conséquence directe des assurances professionnelles très chères,
  • études longues avec un internat sous-payé (taux horaire inférieur au SMIC) et aux conditions de travail esclavagistes (cumul de gardes de nuits, pas de retraite anticipée pour pénibilité du travail, heures supplémentaires non payées...).

Mise en cause directe de la Ministre:

  • ignore que l'affichage des tarifs de consultation et actes est obligatoire depuis 2 ans (donc les français savent combien leur coûtent leurs médecins),
  • ignore que l'accès aux tarifs opposables n'est pas limité, grâce aux hôpitaux (à Paris),
  • fait appel à des spécialistes particuliers car elle ne supporte pas pour elle-même pas les conditions dans lesquelles les français ont accès aux soins (délais d'attente, compétences inégales des praticiens, centrale d'appels pour les RdV, "anonymat" du suivi)
  • ne sait pas combien coûte réellement l'exercice de la médecine et ses spécialités (coût des procédures, URSSAF, charges sociales du médecin libéral... et 65 heures de travail par semaine pour tout payer).

Note du comparateur DevisMutuelle

(*) La spécialiste met la lumière sur une réalité du débat actuel: la part des Mutuelles dans la problématique des dépassements d'honoraires.

On remarque que si elles ont été à la table des négociations, les mutuelles et les compagnies d'assurance complémentaire se font très discrètes dans le débat qui fait rage. Veulent-elles éviter qu'on remette en cause certains points de la négociation? Craignent-elles que le débat les entraînent elles aussi à "lâcher"? Ou qu'on les contraigne à un comportement "plus citoyen" tout comme les médecins, avec sanctions financières à la clé?
Toujours est-il que le Docteur accuse clairement: dans cet accord, les médecins sont sacrifiés au profit des mutuelles...

(**) Rappelons que la Sécurité Sociale gère la protection sociale en France, avec plusieurs branches: l'assurance maladie, mais aussi la retraite, la famille, la prévoyance (accidents du travail et maladies professionnelles). Depuis quelques années, face au vieillissement de la population, la création d'une branche supplémentaire est envisagée: la Dépendance.

Réponse de la Ministre Marisol à son amie

Elle est brève. pour l'essentiel, la Ministre reproche le ton violent de son amie et la mise à disposition publique de "LA lettre". Elle s'étonne du mépris de la chirurgienne à l'égard des mutuelles. Affirme son respect envers les médecins, et ses relations sereines avec leurs syndicats. Et réaffirme que son objectif est de mettre un frein à une dérive de pratiques tarifaires qui, selon elle, tend à fermer l'accès de la médecine libérale. Ne laissant "que" l'hôpital à la plupart des français pour se soigner.

Remarque du comparateur de Mutuelles

On peut regretter que ce ne soit pas une réponse point par point aux critiques de la spécialiste. Car certains aspects interrogent, et demandent des solutions plus réalistes, plus pragmatiques. Qui tiennent compte aussi bien des réalités du corps médical, que des besoins des français en terme d'accès aux soins.
Pas de réponse nette, non plus, quant au rôle et à la place des mutuelles dans cette "médecine de pointe et de qualité", que l'assurance maladie ne peut pas financer intégralement.

La cuisine ou la cantine?

Dans LA lettre, une comparaison intéressante est faite avec l'alimentation: les français vont-ils préférer se nourrir mal mais pas cher, au tarif d'un ticket restaurant (le "ticket-médecin"), ou aiment-ils mieux manger, en acceptant de payer plus?

Au pays de la gastronomie, la comparaison de la chirurgienne est pertinente: elle fait mieux comprendre la nécessité de payer les actes, la chirurgie et la compétences des médecins au juste prix.

Mais il y a malgré tout une réalité: tous les français aimeraient manger grande cuisine, et pas seulement de temps en temps. Au moins pouvoir "se payer" des aliments de qualité. Par exemple les 5 fruits et légumes par jour préconisés par le Ministère de la Santé, mais devenus trop chers pour la plupart des foyers, même tout juste cueillis du champ ou du verger, sans qu'un grand chef y ait touché...

Quelle que soit la ou les raisons, la santé a suivi la même logique "financière": pour être "bonne", elle doit se vendre à prix d'or. Un prix que tous les foyers n'ont pas les moyens d'acquitter.

Dans sa lettre, le Docteur Arielle SALON rappelle à la Ministre que le dépassement d'honoraire est aussi un moyen de financer l'accès aux soins de patients moins aisés. Car de nombreux médecins et spécialistes pratiquent, selon elle, les tarifs opposables pour leurs patients moins fortunés, et interviennent même gratuitement parfois. Les plus aisés payant plein-pot.

Les mutuelles restent discrètes sur un accord "gagnant-mutuelles"

Ne serait-ce pas justement le rôle et la fonction des mutuelles d'assumer cette part de compétence et de qualité?

Des mutuelles sorties grandes gagnantes du récent accord sur les dépassements d'honoraires? Car non seulement le dispositif devrait réduire les montants et le nombre de dépassements, mais en plus l'Assurance Maladie en reprendra une part plus importante à sa charge (augmentation de 20% de la part Assurance Maladie).

Le mot du comparateur de mutuelles

Dans sa lettre, le Docteur Salon évoque aussi le lien entre la Ministre et la Mutuelle MGEN, qui aurait financé "un film" diffusé sur la LCP. La Ministre répond ignorer de "quel clip" on lui parle. Mais elle sait qu'il s'agit d'un clip et non d'un film... Alors, oui ou non, y-a-t-il collusion entre Marisol Touraine et les mutuelles, comme l'en accuse un internaute qui se dit chirurgien, sur le blog de la Ministre, en commentaire à LA lettre?

Sans attendre la réponse à cette question, posons-nous la vraie question: les dispositifs mis en place avec le récent accord sont-ils la solution vraiment appropriée au problème actuel? Un problème où les besoins des français en matière de soins, ne rencontrent pas les besoins d'une profession qui, il est vrai, ne vend pas ses compétences à son juste prix, si elle s'en tient aux tarifs opposables...